Concours de nouvelles 2023

Grand Prix du Jury

" AOÛT " de Mina HONGRE

Pschhht... Pschhht... Pschhht...

C’est le bruit que fait la mer en caressant les rochers. J’aime bien ce bruit. J’aime bien la mer.

Mes cousins ramassent des coquillages, les pieds dans l’eau. Leurs chiens les regardent depuis la plage, on dirait qu’ils ne veulent pas se mouiller les pattes. Alice, ma grande sœur, lit un roman, allongée sur la serviette de plage de maman. Alice, elle aime bien les romans. Moi, non. C’est long à lire. Et puis, les livres, ça rappelle l’école. Je n’aime pas l’école. Je préfère manger des glaces, nager, ou… ne rien faire.

C’est bon, aussi, de ne rien faire. De rester assise sur le sable brûlant, en laissant la mer chatouiller les orteils.

Ce qu’il fait chaud ! Le soleil tape sur ma petite tête transpirante.

Mais c’est aussi ça, les vacances. Les vacances, c’est la plage, la glace au chocolat sur le port, les soirées en famille et les bateaux qui reviennent du large, le soir. Mais les vacances, c’est aussi la chaleur et les coups de soleil, le soir en rentrant à l’hôtel, pieds nus, avec des petits cailloux plantés dans les pieds, et ça fait un peu mal.

Mais c’est comme ça. Rien n’est parfait.

À part Alice ! Alice, elle est vraiment parfaite. Alice, elle est gentille et elle est belle. Et puis, elle a seize ans. Et à seize ans, on est grande. Et quand on est grande, on est intelligente. Alice, elle est très intelligente. Elle m’aide à faire mes devoirs. Elle vient me chercher à l’école l’après-midi, et parfois elle m’achète des bonbons sur le chemin et me demande de ne pas en parler à maman et papa.

Je crois que maman et papa n’aiment pas les choses sucrées. Ils disent : « les sucreries, c’est très mauvais pour la santé et il ne faut pas en manger ». Mais une fois, j’ai vu maman acheter des bonbons en cachette, en regardant partout autour d’elle comme si on allait l’arrêter parce qu’elle achetait des sucreries et que « les sucreries, c’est très mauvais pour la santé et il ne faut pas manger ».

Maman, elle aime bien manger. À table, elle se ressert toujours. Et puis, elle mange de tout. Même des escargots ! Beurk ! Mais pour elle, c’est bon, puisque de toute façon elle aime tout. Donc elle mange de tout ! Ça doit être pour ça qu’elle a un gros ventre. Papa lui dit qu’elle devrait maigrir, mais moi, je la trouve très bien comme ça. Le soir, quand j’ai du mal à m’endormir, je vais dans le lit de maman et papa et je pose ma tête sur le gros ventre de maman. Ça fait comme un oreiller moelleux et confortable. C’est drôle parce que quand je me tourne en ayant ma tête sur son ventre, ça fait « grouik grlglglou glouglou garlglouglougrouik », comme s’il y avait des cochons et des dindons dedans. Ça me fait rire. Maman, elle est drôle. Mais elle a peur de tout.

Moi, je n’ai peur de rien. À part du curé de notre village. Le curé, il a des gros yeux avec des sourcils méchants et il ne sourit jamais. Et puis je dois l’appeler « mon père », même si c’est pas mon papa. Mon papa, il sourit tout le temps et il a de grands yeux gentils qui rigolent. Pas comme le curé.

Ah oui, j’ai aussi peur de Piaf, mon poisson rouge ! Il a une tête vraiment effrayante, c’est pour ça que c’est toujours Alice qui lui donne à manger. Moi, je ne peux pas. J’ai trop peur de lui.

J’ai si chaud ! Je demande à maman si elle peut m’acheter une glace :

« Non ma chérie, c’est mauvais pour la santé ».

J’ai tellement chaud ! Je tente ma chance auprès de papa.

« Papa ! J’ai chaud ! Tu m’achètes une glace ? ».

Mais il me répond :

« Pas question, tu en as déjà eu une hier. »

Dommage. Au moins, j’aurai essayé.

Je m’ennuie. Je m’ennuie, mais je n’ai pas envie d’aller ramasser des coquillages. On l’a déjà fait hier. Et avant-hier. Et encore avant. Les grandes vacances, c’est tous les jours différent, mais en même temps, c’est tous les jours pareil. Comme une chanson, avec des couplets refrains qui se répètent.

Je vois d’ici la lessive que maman a étendue dans le jardin. C’est joli, tous ces vêtements de couleur qui se balancent au rythme du vent marin. J’aime le vent marin. Ça sent le sel et le poisson.

J’aime m’allonger sur le sable chaud, écouter le rire des mouettes et sentir l’odeur du vent. Penser à une montagne de choses différentes. À mon année scolaire qui s’est achevée. À celle qui va démarrer, dans quelques jours. Penser à la veillée « feu de camp saucisses et jeux sur la plage » de la veille. Ou alors ne penser à rien. C’est bon, aussi, de ne penser à rien.

J’adore les vacances.

J’aime tremper les pieds dans l’eau, manger des glaces et écouter Alice chanter « J’ai deux amoooooooooours, mon pays et Pariiiiiiiiiiiiis ! ». C’est de Joséphine Baker. Heureusement que Joséphine Baker ne chante pas comme Alice. Sinon, il n’y aurait pas grand monde à ses spectacles.

Il fait chaud. Il fait beau. J’aime bien. J’ai hâte de jouer aux cartes avec mes cousins ce soir, pour me coucher tard. Mais, en même temps, je n’ai pas hâte, parce que ça veut dire qu’on part bientôt. Après-demain. C’est triste, je suis bien ici, je ne veux pas partir. Je pourrais rester ici des millions d’années.
Ce mois d’août 1939 aura été le plus beau de mon enfance.