Concours de nouvelles 2022

1er Prix Juniors

" LE MONDE D’APRES " de Naïla SAID

« Aujourd’hui 22 mars 2050 c’est mon anniversaire, je suis trop contente. »

C’était ce que j’avais écrit deux heures avant que la chose qui changea le monde à tout jamais ne se produise.

Il faisait froid et la nuit était tombée. Je n’arrivais pas à dormir tellement j’étais excitée à l’idée de partir : le lendemain je devais partir à Disneyland-Paris. Comme je n’arrivais pas à dormir, j’avais sorti mon journal intime et écrit ce qui suit :

« Chère Rose, aujourd’hui 22 mars 2050, c’est mon anniversaire, je suis trop contente ; Il est plus de minuit et je n’arrive pas à trouver le sommeil donc je te raconte la journée que j’ai eue au collège. J’ai commencé à 8 heures - comme d’habitude - puis on a eu math avec une des pires professeures qui puisse exister (on l’appelle Mme pied de fer). C’est une prof que tout le collège craint, même les professeurs ne sont pas sereins autour d’elle ». Peu de temps après j’avais fini par m’endormir.

Une heure plus tard je me réveillai après un cauchemar. Quand je descendis au rez-de-chaussée, ma mère et ma sœur étaient là et avaient allumé la télévision. Les infos ne parlaient que de ça : la lune s’était écrasée sur la Terre, le monde entier était en panique et plus d’un tiers de la population mondiale avait déjà été rayé de la carte.

La chaîne devint noire ainsi que toutes les autres, aucun proche ne répondait. Et c’est quand nous sommes allées dehors que nous avons réalisé que nous étions isolées sur notre lopin de terre en train de flotter dans l’espace. Juste l’univers, notre petite maison, et nous… Survivantes perdues. Les seules survivantes de LA collision entre la Terre et la lune. Bizarrement nous arrivions encore à respirer normalement…

Alors que j’avais perdu mon père quelques mois avant la collision et que je le pleurais encore, je venais de perdre l’humanité entière. Un sentiment d’injustice et d’incompréhension m’envahissait. Je m’étais épuisée à crier à l’aide sans le moindre espoir, j’étais accablée de fatigue et de désespoir. Je me sentais faible comme si je m’étais battue pendant un très long moment. J’avais aussi des symptômes de grande anxiété – le souffle court, les sueurs froides, et l’impossibilité d’avoir des pensées rationnelles. Mais nous avions dû nous organiser très vite. Nous n’avions que nos provisions et nous devions faire attention : répartir la nourriture pour pouvoir vivre encore un peu. Nous avions les ressources pour vivre encore à peu près 4 mois.

L’air semblait être empli de poussière, j’avais l’impression d’entendre mon père dans le jardin, j’avais juste 13 ans mais l’impression d’en avoir 40, mon corps semblait tomber dans un long abime infini. Cela faisait un mois que nous étions perdues dans l’espace et mon esprit me jouait des tours. Mes hallucinations duraient de plus en plus longtemps. Ma mère entra dans ma chambre et en la regardant je voyais des halos de lumière rouge entourant son corps.

« Chère Rose, ces trois derniers jours je n’arrête pas d’halluciner. Je vois des choses apparaître et disparaître sous mes yeux, puis le lendemain je m’aperçois que je n’ai aucun souvenir de ce que j’ai fait le jour précédent, et le troisième jour ma mère m’a dit que ça faisait deux jours que je n’étais pas sortie de ma chambre ».

 

3 MOIS PLUS TARD

Ma sœur avait perdu tellement de poids qu’elle décéda après une longue agonie. Ma mère était, elle, complètement paralysée des jambes, et ne pouvait absolument pas sortir de son lit sans s’effondrer. De mon côté ma santé physique était acceptable et mes hallucinations avaient cessé.

Un jour ma mère ne cessait de m’appeler de sa chambre. Mais je n’y étais pas allée car je voulais me reposer. Je commençais à m’inquiéter après trente minutes de silence. Dans sa chambre je retrouvais ma mère pendue à une ceinture qui appartenait à mon père. Après le décès de ma mère, pendant plusieurs jours je ne sentis plus rien émotionnellement ou physiquement. RIEN. Mon cerveau s’était déconnecté pour se protéger de ce trop-plein. Mon père était mort dans sa dernière mission ; nous avions perdu nos amis et le reste de la famille dans une collision inédite qui avait transformé à jamais la vie ; ma sœur était morte de fatigue, de faim et de déshydratation ; puis ma mère s’était suicidée car elle se sentait coupable pour la mort de ma sœur. Pourquoi étais-je toujours en vie ?

Un gros bruit sourd, la sensation de tomber… Et je me retrouvais sans comprendre au milieu d’une forêt tropicale. Je me sentais mieux, libre. Il y avait une forte odeur de lavande, ce qui ne me déplaisait pas, tout autour de moi je voyais du lierre. J’avais du mal à me repérer dans le temps et dans l’espace depuis que ma mère était morte, je me disais surtout que j’allais bientôt mourir à mon tour, donc suivre le fil du temps ne servait à rien. 

Pendant que j’étais sur cette terre inconnue je mangeais tout ce que je trouvais : baies, mangues, cocos, et même du manioc. Quand je mangeais, je me voyais revivre comme si tout ce qui s’était passé depuis la collision s’était évanoui. J’entendis un gros bruit sourd comme si quelque chose était tombé d’une hauteur époustouflante. Je tournais la tête et trouvais une noix de coco tombée à peine à 30 centimètres de moi. L’instinct me poussa à fuir.

Je cherchais l’extrémité de la forêt. Après avoir arpenté divers chemins pendant ce qu’il me sembla être des heures, j’arrivais au bord de la parcelle de terrain sur laquelle je me trouvais. A plusieurs centaines de mètres je voyais une terre rougeâtre qui semblait être habitée. La terre se rapprochait de plus en plus et il me semblait entendre des voix m’appeler. Comment ces formes pouvaient-elles connaitre mon nom ? La terre lointaine et inconnue se rapprochait et les personnes ou choses m’appelaient de plus en plus fort. La terre rougeâtre se rapprochait encore et encore jusqu’à heurter le lopin de terre sur lequel j’avais atterri.

Je m’émerveillais que cette « terre » sur laquelle j’étais soit intacte malgré le choc. Je vis sur la terre rougeâtre des personnes que je n’avais jamais vues avant, ils semblaient intrusifs et ne semblaient pas se soucier que je sois jeune. Ils arrivèrent comme un troupeau d’éléphants et commencèrent à me faire subir un interrogatoire. Après les avoir fixés pendant un long moment, je remarquais que tous les habitants portaient un bandeau de couleur mauve sur la tête, et avant de pouvoir me poser la question « qu’est-ce ? »  « Pourquoi est-ce qu’ils portent ça ? », un homme grand, à la peau mate avec des tatouages un peu partout sur le corps, m’attrapa et m’assena un coup de massue sur la tête.

Je me réveillais en sursaut dans mon bon vieux lit, le soleil perçait à travers la fenêtre de ma chambre qui sentait la rose. Je descendis en courant dans la cuisine et vit ma mère en train de prendre le petit déjeuner. Toutes ces horreurs que j’avais vécues n’étaient qu’un simple rêve ! Je pris ma mère dans les bras, presque en pleurs, submergée par l’émotion, et avant même de dire bonjour, je demandais « où est papa ? ». Ma mère commença à pleurer et je compris : mon père était bel et bien mort, je ne le reverrai plus jamais ! La réalité m’avait rattrapée et il me fallait construire un monde sans lui. Le monde d’après.