Concours de nouvelles 20192e Prix catégorie "Juniors"" Pour mes trente ans ... " de Charlotte Rebuffat
J'acquiesce, lui adresse un sourire un peu forcé puis me retourne vers le gâteau. J'hésite un bref instant, puis je souffle. La voiture cahote sur le sentier irrégulier sur lequel nous roulons. Cette année, mes proches m'ont fait un cadeau commun ; je vais faire le premier Escape Game de ma vie. « Ça vient d'arriver en France, m'ont-ils expliqué. Tu vas voir, c'est passionnant ! » Mais je n'ai pas trop envie de ce genre d'aventure pour le moment. En fait, je ne comprends pas ce qu'il m'arrive. Je devrais être heureux, c'est mon anniversaire ! Pourtant ... je me sens juste déprimé. Chaque anniversaire me donne l'impression de vieillir. Qu'est-ce que c'est que trente ? Que peut bien signifier trente pour moi ? Mon âge, bien sûr. Mais ça peut être beaucoup plus que ça. Trente ... trente c'est le nombre de jours dans un mois, trente, c'est une température, c'est le nombre d'élèves dans une classe, une date à retenir, une limitation de vitesse, les derniers chiffres du code postal de Pélissanne, ma ville natale. Trente, c'est tout ça, c'est tant de choses, et pourtant ça ne signifie rien pour moi. Rien. Mais je ne comprends pas pourquoi ça me perturbe autant. J'essaie vainement de trouver un sens à ce nombre, mais c'est inutile, il n'y en a pas à trouver !
Sarah est ma copine depuis deux mois. Je l'aime beaucoup même si, parfois, elle peut être très susceptible.
La voiture s'arrête enfin devant un petit immeuble décrépi. J'ouvre la portière. Enfin de l'air frais ! Après une demi-heure de route entassé avec quatre autres personnes dans la voiture, j'étais au bord de l'étouffement.
En réalité, je n'en mène pas large. Cet endroit me donne la chair de poule. Le devant du bâtiment ressemble à un ranch de vieux western tout délabré. Je déteste cet univers, pourquoi diable mes amis m'ont-ils offert ce cadeau ? Je n'ai pas le temps de réfléchir que déjà, deux hommes s'avancent vers nous. Le premier porte un sombrero et un poncho et l'autre a l'air de sortir de prison avec sa barbe de deux jours, sa cicatrice sur l'arcade et son sourire grinçant. Je tente de me rassurer en me disant qu'ils sont volontairement déguisés comme ça, que c'est pour le jeu. Je n'ai jamais été particulièrement courageux, et maintenant, cette qualité me fait clairement défaut.
Dans le vestibule, c'est une femme qui nous accueille. En jean et en chemise, elle est parfaitement normale, tout comme la salle qui nous entoure.
Sans plus de manières, l'homme au sombrero me prend par les épaules, et m'emmène le long d'un couloir.
Puis nous marchons. Longtemps, du moins j'en ai l'impression. Nous avançons dans un dédale de couloirs et d'intersections. Et enfin, il ouvre une porte et nous nous arrêtons.
Sa voix s'est faite plus grave, plus urgente. Il me met les menottes, et il serre. Fort. Maintenant, je vais vous donner les règles, explique-t-il. Vous êtes deux. Vous allez devoir sortir d'ici. Vous avez une heure. Si vous n'êtes pas sortis d'ici là, vous pourriez le regretter. Bonne chance, vous allez en avoir besoin. Il sort, certainement suivi par son acolyte, l'homme à l'allure de bandit, qui a dû amener la personne avec qui je vais faire l'Escape Game. J'entends la porte claquer, j'ouvre les yeux et j'enlève tant bien que mal mon bandeau avec mes coudes. Il fait sombre, il n'y a pas beaucoup de lumière, à part celle des néons du plafond qui diffusent une lumière bleu foncé.
De l'autre côté de la salle, accrochée elle aussi à une chaîne par ses menottes, une femme qui doit avoir mon âge me sourit.
Elle me rejoint en trottinant.
Pendant cinq minutes, je la vois fouiller partout, sans résultat. Pour ma part, je ne vois aucun indice. La pièce est cubique, elle doit faire 15 mètres sur 15. Les murs sont blancs, mais ils paraissent bleus à cause des néons accrochés au plafond.
Alors, à la manière d'une héroïne de film d'action, elle enlève une épingle de son chignon et la tourne dans la serrure jusqu'à entendre un déclic. Elle se relève, rayonnante.
Et c'est ce que nous faisons. Nous appuyons en silence sur chaque pan de mur, sur chaque recoin. Et au bout d'un certain temps, quelque chose cède sous mes doigts. Une porte s'ouvre. A l'intérieur, c'est comme dans un placard. Sauf que derrière, il y a une nouvelle porte, la sortie certainement, qui est tenue fermée par un cadenas à six lettres.
Elle me rejoint, observe en silence et me dit :
Elle acquiesce et je me dirige vers le premier néon que je peux atteindre. Je l'observe sous tous les angles. Il n'y a rien. Je réitère l'opération deux fois sur d'autres luminaires. Toujours rien. Mais au troisième, alors que je m'apprête à renoncer, j'aperçois un minuscule interrupteur. Il n'y est pas écrit on/off. Les deux signes qui sont inscrits sont indécodables. Je lève les bras le plus haut possible, mais je n'arrive pas à l'atteindre.
Elle arrive, je lui fais la courte échelle et elle réussit sans mal à bouger l'interrupteur. Aussitôt, la lumière change. Elle devient violette, à la fois éblouissante et sombre. Et au mur, des mots se dessinent. Ou plutôt des phrases. Tracées à la main, tombantes comme si elles coulaient sur les murs : « Tu n'auras pas d'autre indice, « le code est votre point commun », « Deux fois par nouveau départ, les murs se rapprocheront », « Personne ne se souviendra de toi », « Dis adieu à la vie », « A chaque heure tu oublieras, à chaque heure tu recommenceras », « Une grande question pour toi ». Je croise le regard de ma coéquipière. Elle a les yeux écarquillés. Jusqu'ici, j'ai gardé mon sang-froid, en me rappelant que ce n'était qu'un jeu. Mais là, je commence à avoir vraiment peur.
J'acquiesce.
En attendant, nous commençons à chercher fébrilement le code avec nos points communs. On a les cheveux bruns, on vient de la même ville, mais n'obtenant aucun résultat avec ce type d'informations, nous élargissons nos recherches. Nous avons tous les deux un Thomas dans notre famille, nous avons déjà pris des cours de natation ... Mais rien ne marche. Et soudain, les murs se mettent à trembler. Ils s'avancent de 50 centimètres, lentement, pendant au moins trois minutes. Fou de colère, et surtout terrifié par ce qu'il vient de se passer, je me précipite au centre de la salle et crie aux caméras :
Alors, du microphone, une voix grave, déformée, jaillit.
Plus de réponse, le micro semble éteint. Je m'affale contre le mur, dévasté. Léonor vient s'accroupir à côté de moi.
Je me relève brusquement, et alors je sens quelque chose glisser le long de mon bras. Un nœud fait avec un mouchoir. Léonor se tourne vers moi et me dit, incrédule :
Je cours vers le cadenas. Mais sous moi, le sol commence à trembler. Les murs se rapprochent. Je tourne les molettes aussi vite que je peux. J'ai deux minutes avant la fin du jeu. Avant le recommencement. J'ajuste le dernier « e », et là, j'entends un déclic. Fou de joie, je prends brièvement Léonor dans mes bras, je souffle, et j'ouvre la porte. Si un jour, quelqu'un me demande ce que signifie trente pour moi, je lui sourirai et je répondrai : Je sais ce que signifie trente, maintenant. Trente, c'est ma liberté, Trente, c'est toute ma vie. |