Concours de nouvelles 2017

1er Prix catégorie "Juniors"

Une parole mortelle de Alizée WAQUEZ

A quinze ans, il n'est pas toujours facile de comprendre le sens de notre vie. Je suis dans ce cas et j'ai l'impression d'être perdue dans un océan sans fin. Je ne cesse de me poser des questions. La culpabilité m’envahit dès que je prends la parole. Ma façon de voir le monde est assez particulière. Mais ce n'est pas de ma vision du monde dont je suis venue parler aujourd'hui, mais de mon histoire.

24 Juin 2017
La salle est bondée et il y règne un brouhaha assourdissant. Mon cœur bat à mille à l'heure et mes mains tremblent. Cela fait une semaine que je m’entraîne sans relâche pour cet événement, malgré cela, je ne peux contrôler mes sentiments. Je me trouve dans la petite cuisine située derrière la grande salle, composée seulement d'un réfrigérateur, d'une vieille gazinière et d'un micro-onde.
Habituellement, elle sert de vestiaire pour les quelques représentations que donne le lycée dans l'année. Aujourd'hui, c'est moi qui serai mise en avant et je ne peux malheureusement pas remonter le temps. - « Ça va aller ? me demanda Mathilde d'un air inquiet. Tu sais, ils sont tous venus pour t'écouter, tu es l'exemple à suivre pour eux. Ils veulent que tu redonnes de l'espoir à ceux qui l'ont perdu. »
Je fais un simple acquiescement de la tête pour lui montrer que j'ai compris, mais au fond de moi je me sens incapable d'affronter cette foule. J'appréhende le moment où ils m’applaudiront et me féliciteront, car je n'ai pas accompli un exploit. Dans tout cela, je ne suis que la victime et non pas l'héroïne. Celui qu'il faut remercier c'est Sam. Lui seul m'a sauvée de l'enfer que j'ai vécu. Malheureusement, il n'est plus là. Il m'a laissée seule. Il est parti, sans me dire au revoir et sans la moindre explication à l'acte de bravoure qu'il a accompli envers moi. La tristesse et la colère que je ressens, sont si fortes qu'elles m’anéantissent à petit feu. Cependant, je ne lui en veux pas, au contraire, je le comprends. J'ai imaginé toutes sortes d'hypothèses plausibles et sensées.
Peut-être n'est-il qu'un simple fantôme que mon esprit a inventé pour me raccrocher à la vie ? Ou bien, il est parti par peur que je découvre qui il est vraiment ?
Je suis obsédée par ces questions qui vont demeurer sans réponses, car personne ne connaît Sam. Il n'a pas de papier, pas d'acte de naissance. Son nom n'est connu de personne. Il n'a pas de famille, pas de maison, rien. Je suis la seule personne qu'il connaisse. C'est notre secret. Personne ne devra jamais connaître son existence. J'en suis donc arrivée au fait qu'il faille que j'invente comment je m'en suis sortie, comment j'ai supportée cette affreuse souffrance.
Je suis devenue une héroïne.
En effet, le discours, que je m’apprête à réciter n'est qu'un mensonge parfumé à la vérité, que les gens mangeront telle une sucrerie.
Mais pour l'instant arrêtons le temps quelques minutes, prenons juste une courte parenthèse, afin que je puisse vous conter la vérité.

9 Novembre 2016
C'était une chaude et belle fin d'après-midi. Le style de soirée dont tout le monde rêve.
J'avais passé une magnifique journée au lycée, ce qui signifiait pour moi que cette première année en tant que lycéenne allait merveilleusement bien se dérouler en dépit de mes appréhensions. J'étais assise sur un des bancs du parc situé à quelques minutes de chez moi. L'air était doux. Une légère brise effleurait mes joues. Les rayons du soleil nous envoyaient les dernières chaleurs de l'été. Les enfants, sortant de l'école s'amusaient dans l’herbe à peine jaunie par le temps et les arbres commençaient à revêtir leur manteau aux couleurs automnales. Ma saison préférée renaissait. Ce fut en cette si belle fin de journée que ma vie bascula. Je reçus un message inquiétant de mon amie Mathilde, m'indiquant de cliquer sur un lien internet. Mon cœur se mit soudain à battre violemment. Mes mains commencèrent à trembler et un ouragan de questions se mit à envahir mon esprit. J’essayai en vain de ne pas imaginer le pire. Mais, malgré toutes les raisons que j'avais de ne pas cliquer sur cette icône, le bien avait succombé au mal.
Là..., ici..., en haut..., à gauche..., partout…, ma vie, ma famille, mes amis, tout y était !
Il ne manquait rien, aucun détail n'avait été oublié. Comment avaient-ils su ? Comment avaient-ils eu ces informations, ces photos ? Pourquoi avaient-ils fait cela ? Je rêvais. C'était irréel, j'allais me réveiller tôt ou tard, avec le front perlé de sueur, le cœur battant à tout rompre et la respiration haletante.
Ce n'était pas possible ! Je me levai, pris mon sac et m’enfuis.
Je voulais disparaître, m'en aller et ne plus jamais revenir. Je courrai traversant la ville sans savoir où j'allais mais peu importait, plus rien ne me retenait ici car ils m'avaient détruite.
Les larmes coulaient abondement sur mes joues, mes yeux étaient rougis, j'étais essoufflée et mes pieds me faisaient mal, je me mis alors à ralentir et m’arrêtai.
Je me situais sur le bord d'une route où tout était désert. A ma gauche une forêt s’étendait à perte de vue. De l'autre côté, des immenses étendues champêtres brillaient de mille feux grâce au merveilleux coucher de soleil qui me faisait face et qui donnait l'illusion que la route était interminable.
« Libre », ce mot résonnait dans mon esprit. La liberté était en face de moi et elle m'invitait à bras ouvert à la rejoindre. Je n'avais qu'à me laisser porter. Mais, j'étais quelqu'un de raisonné. Je ne pouvais pas fuir. Je ne pouvais pas rentrer chez moi, je n'étais pas prête. Où allais-je me réfugier à présent ?
Je décidai de m'engouffrer dans la forêt. Apaisée par le silence, je marchais sur un sentier au rythme du chant des oiseaux. Un léger souffle remuait les feuilles des grands peupliers et mes pas émettaient un léger craquement qui rendait l'atmosphère à la fois inquiétante et paisible.
Le froid m'engourdissait.
Quand je vis au loin un fin filet de fumée sortir de l’épais feuillage.
Je dévalai la pente à toute allure et m'arrêtai devant la petite chaumière. La nuit était tombée et l'humidité m'imprégnait. Je grelottai.
Toc, toc… Aucune réponse, apparemment la maison était déserte. J'attendis quelques minutes puis décidai d'entrer. La porte était en chêne massif et des armoiries de la taille de ma main habillaient le haut de la porte. Ses ornements couleur or, formaient une couronne de ronces entremêlées. Au centre une imposante émeraude verte impériale brillait face à la lune. En entrant, dans le coin gauche de la pièce un feu crépitait dans la cheminée et un vieux fauteuil bergère en cuir lui faisait face. Les murs étaient recouverts jusqu'au plafond de rayonnages remplis de livres. Je décidai alors de passer la nuit ici. Je m’assis devant le feu de cheminée et me laissai sombrer. J'avais besoin d'oublier…
Quand j'ouvris les yeux, le soleil était déjà levé, les oiseaux chantaient et je sentais le contact froid de l'air sur ma peau. Le feu s'était éteint, et quelqu'un m'avait recouverte d'un plaid. A ma droite, une table était dressée et un copieux petit déjeuner m'attendait. Je m'approchai et découvris une étrange lettre cachetée d'un sceau, en cire rouge carmin, représentant une tête de mort. Je pris la lettre précieusement et l'ouvris :
Chère Moi, tout d'abord je voudrais que tu commences par lire cette lettre sans te poser de questions. Une fois ta lecture terminée tu auras tout le temps d'y réfléchir. Tout ce qui t'arrive en ce moment, je l'ai déjà vécu. Je sais exactement ce qui t'arrivera prochainement et je ne voudrais pas que tu reproduises mes erreurs. Dieu m'a donné une seconde chance, celle de t'envoyer un message du futur. Cela doit te paraître insensé voire irréel, mais c'est la vérité. Les événements que tu as vécus, se sont produits pour une bonne raison mais c'est à toi de la découvrir. Je n'ai plus beaucoup de temps, cependant pour t'aider, j'ai envoyé quelqu'un à ma place. Lui t'aidera à trouver ce que tu cherches. Le temps presse alors fais les bons choix car les Kidd ont toujours une longueur d’avance !
PS : N'oublie jamais qui tu es vraiment.


Rien d'autre n'était mentionné, sauf au verso de la feuille où était inscrit :

« Une parole mortelle »

Que voulait bien pourvoir dire cette inscription ? Je n'en n'avais aucune idée mais ce message restait pour moi un grand mystère. Il fallait à tout prix que je découvre pourquoi mon moi m'avait écrit cette fameuse lettre et qui était cette personne qui devait me venir en aide ?
La réalité me rattrapait et il fallait que je trouve une solution. Dans un premier temps ma fugue avait dû alerter mes parents et il faudrait que je trouve une excuse pour l'expliquer.
Ensuite la recherche de la mystérieuse personne allait commencer. Enfin j'allais devoir affronter ce que je redoutais le plus au monde : le regard des autres. Ce matin là, je ne suis pas rentrée chez moi.
L'entretien que je devais à mes parents n'était pas une priorité.
Je suis donc retournée au lycée et bien sûr tout se passa comme je l'avais prévu.
Les insultes, les aprioris, les moqueries et les méchancetés fusaient dès que j'avais le dos tourné.
La honte, la rage et la tristesse ressenties, me firent comprendre que j'avais de vrais amis, fait de chair et d'os, qui ne sont pas des feuilles mortes qui au moindre coup de vent s'envolent pour se déposer sous un autre arbre. Eux, ne me raillèrent pas. Je n'avais parlé à personne de ce qui c'était passé cette nuit-là.
Seule, je devais régler cette histoire. Mais par où commencer, la lettre était si vague et les indices donnés ne m'étaient pas connus. Je désespérais.
A la fin des cours comme il n'était que dix-sept heures et que je n'avais aucune envie de rentrer chez-moi j’eus l'idée de rester faire mes devoirs à la bibliothèque. Cet endroit était un paradis. Il permettait à mon esprit de s'évader à sa guise et je me sentais invincible. Je parcourrai les rayons et m’assis à une table en retrait, cachée de l'allée principale.

« - Tu ne restes pas avec les autres ? me demanda une voix masculine.
Surprise par cette interrogation je relevai soudainement la tête sans trop savoir que répondre.
- Euh… non, je préfère rester seule.
- Je suis désolé pour ce qui t'arrive, mais il ne faut pas les écouter, ce sont tous des idiots. Et si tu as besoin de parler je suis là. me dit-il en souriant.
Il avait des yeux aussi bleus que le ciel et il me sembla percevoir son âme dès que son regard croisa le mien. Ses cheveux étaient d'un brun sombre et son sourire vous transmettait toute la joie et la bonne humeur du monde. Il paraissait sortir d'un de ces nombreux romans où l'on décrit l'homme idéal.
- Merci beaucoup, mais je ne pense pas que tu puisses faire grand-chose pour m'aider.
- On ne sait jamais, comme je suis nouveau, le directeur a pensé que pour mon intégration, il serait ingénieux de me donner un poste à la bibliothèque entre les cours.
Je peux te donner un conseil dans le choix de tes lectures ou t'aider dans tes devoirs ?
- Si tu tiens tellement à m'aider, connais-tu un livre nommé « Une parole mortelle » ? »
- Bien sûr ! C'est mon livre préféré, mais dis-moi, tu aimes les histoires de pirates ?
- Disons que je m'y intéresse, dis-je en essayant de cacher mon étonnement.
Saurais-tu où je pourrai le trouver ?
- Il n'y pas d'exemplaire ici mais je crois que Mr Kidd en possède un dans son bureau.
- Merci beaucoup, mais je pense qu'il me sera difficile de lui demander. Mr Kidd est un homme mystérieux et ne supporte pas que l'on entre dans son bureau ou qu'on le dérange.
- Nous trouverons un moyen de récupérer ce livre, je te le promets. Après tout ce n'est qu'un simple conte. » Puis il tourna les talons et s'éloigna.

Il n'avait pas tort, ce n'était qu'un livre. Cela voulait dire que si Mr Kidd nous empêchait d'entrer dans son bureau et donc d'atteindre le livre c'est qu'il y avait une raison.
Il fallait à tout prix que je le récupère et l'aide de… Je me rendis compte que je ne connaissais même pas le nom de ce mystérieux garçon à qui je venais tout juste de parler.

« - Attends !  criais-je avant de le perdre de vue.
- Oui ? dit-il en se retournant d'un air étonné.
- Je… je ne connais pas ton nom …
- Sam ! Je m'appelle Sam. » répondit-il en me souriant et il disparut au milieu des rayons.

Un rêve !
Je me repassais en boucle la conversation que je venais d'avoir avec Sam, et, il me semblait qu'elle n'avait jamais eu lieu. Comme si j'avais rêvé.
En tout cas il fallait que je récupère ce livre avant ce soir car le temps pressait et les ennuis allaient arriver. J'avais donc donné rendez-vous à Sam à dix-neuf heures trente devant le gymnase.
Nous ne risquerions de croiser aucun professeur car seules les femmes de ménages étaient présentes à cette heure-ci. Ils ne nous resteraient plus qu'à nous infiltrer dans le bureau, récupérer le livre et filer.
Crac… La porte en chêne massif s'ouvrit
- « Nous y voilà enfin ! » chuchotais-je.
Je n'étais jamais entrée ici mais cette pièce n’avait apparemment rien à cacher. Le livre était dans un des tiroirs d'un petit meuble et il avait l'air tout à fait banal, la couverture était sobre et il était édité dans une version ne datant que d'une dizaine d'années. A la fin de l'ouvrage il y avait un chapitre expliquant d'où était tirée l'histoire. Et là, la cause de mes problèmes apparut :

Il était une fois un grand est célèbre pirate anglais nommé William Kidd. Cet homme intrépide, tyrannique et redouté de tous tua sans compter ses victimes pour trouver « Le cœur de l'honneur ».
On raconte que cette arme donne à celui qui la possède un pouvoir infini. Cependant un jour un homme loyal et courageux voulut mettre fin à ce massacre infernal. Alors une guerre éclata entre les deux marins qui se traquèrent aux quatre coins du globe. Tous deux voulaient posséder l'arme pour des raisons différentes : La mort ou la vie ? L'enfer ou le paradis ? Le diable ou l'ange ?
Ce conflit dura plus de trente ans et les pertes furent nombreuses. Mais un soir alors que la mer était calme et paisible les deux navires ennemis se croisèrent et le paysage se transforma en une tempête de flammes. Le face à face entre les deux pirates fut sanglant et intrépide.
Mais l'ange tomba. Il n'y avait plus aucun espoir pour qu'il s'en sorte, il était condamné.
Cependant, Kidd ne le tua pas. Il voulait lui poser une dernière question avant de le faire :
« Ou est caché le cœur de l'honneur ? »
Le pirate à terre ne prononça que quelques mots : « De là où il est venu... » et, sa gorge fut tranchée.
Une légende raconte qu'une fois mort le cœur du pirate se transforma en émeraude et qu'elle fut transmise de père en fils au fil des siècles.
Aujourd'hui, malgré les années qui nous séparent de ce conflit, la descendance des deux pirates perpétue la rivalité entre les deux familles. Mais le nom de Emmanuel Wynn resta à jamais gravé dans l'histoire car sa parole lui permit de garder ce qu'il avait de plus précieux au monde : son honneur.


Je n'en revenais pas, toute l'histoire de ma famille était écrite dans ce livre. J’étais l'arrière petite fille du capitaine Wynn !
Je me souvenais à présent : La chaumière dans la forêt où se trouvait l'émeraude était celle où mes grands-parents habitaient avant ma naissance et Sam était donc la personne qui devait me venir en aide. Quant à l’inscription au dos de la lettre elle faisait référence à ce qu'avait accompli mon ancêtre.
Il avait préféré garder son honneur et le silence. Sa parole lui avait été mortelle et lui avait coûté la vie mais il ne le regrettait pas, il savait ce qu'il faisait, il avait fait son choix. Je me retournais vivement pour annoncer à Sam ce que je venais de découvrir.
Mais… il avait disparu. Il avait accompli sa mission.
Le harcèlement et le site internet crée disparurent dans les semaines qui suivirent la découverte de ce livre et il se trouva que le directeur et son fils étaient responsables de mon malheur. Ils étaient des Kidd et ils avaient encore perdu.
La vie reprit son cours, tel un long fleuve tranquille.

24 Juin 2017
Je sors de la salle et monte sur l'estrade. Je suis confiante à présent. Je sais ce qu'il faut que je fasse et je n'ai plus peur. Je suis une Wynn et l'honneur coule dans mes veines. J'ai survécu, j'ai su faire face et je suis restée forte. Rien ne peut plus m'arrêter à présent. Ils ont essayé de me détruire et de voler le trésor de ma famille. Mais les Wynn ont une devise « Le silence et d'or et la parole est d'argent ». Mon aïeul a gardé le silence, sa vie lui a été prise mais il a rendu sa famille riche d'honneur, de loyauté et de courage. Je suis fière de ce que je suis. Notre famille est une barrière imperméable.
Il suffit juste d'en prendre soin pour qu'elle nous protège.
Je m’apprête à commencer mon discours quand, soudain, je relève les yeux.
Il est là !...
Au fond de la salle, ses yeux bleus me regardent, son sourire réchauffe mon cœur et une broche, représentant le symbole de ma famille, orne sa veste noire.
Il est revenu !