CONCOURS DE NOUVELLES 2010

"Les onze coups de minuit "

Catégorie Nouvelles collectives

 

1er prix : " QUI A VOLE LA DOUZIEME HEURE ? " par la classe de 4ème G du Collège Sacré Cœur d’ Aix en Provence

En l’an de grâce 2009, la ville de Marseille offrait un paysage extraordinaire aux voyageurs qui la traversaient : une fine couche de neige recouvrait les maisons, les arbres et les barques des pêcheurs qui sommeillaient au fil de l’eau. Les nuits étaient claires, le ciel bien dégagé et on voyait briller les étoiles toutes piquées de froid par le mistral qui s’était emparé de la ville une semaine plus tôt. Les habitants s’affairaient à la préparation de Noël. On allait célébrer la messe le soir même. Malgré le froid de l’hiver, tout le monde était dehors en train de chercher les cadeaux pour la famille, pour les amis : des listes qui n’en finissaient pas. Il y avait tant de joies à partager dans cette atmosphère sacrée. La soirée du 24 décembre 2009, les habitants de la rue Sylvabelle préparaient toutes sortes de bonnes choses dans l’attente de la messe de minuit à laquelle le tocsin de l’église St Philippe devait convier les « bons » chrétiens. On avait plumé les faisans, fourré de truffes les dindes, nettoyé les truites, dessalé la morue et préparer les treize desserts.
Minuit arriva et onze coups furent sonnés à la cloche de l’église St Philippe pour la célébration de la messe. Je dis bien onze et pas douze. Ce soir là un partie de la population marseillaise fut privée de son douzième coup.
On mit un certain temps à s’en apercevoir tant la gourmandise agitait les papilles et les estomacs de la communauté tout entière pressée de se mettre à table, au milieu des fleurs, de la vaisselle d’argent et des candélabres pour manger en famille. Ce fut le révérend qui le premier s’en aperçut. Scandale et sacrilège, mais qui aurait pu faire ça ? On avait dés dix-huit heures le soir, chargé le sacristain Jean-Paul de régler la minuterie et ce parfait jeune homme était bien connu pour son perfectionnisme. Donc aucun doute, il y avait eu sabordage !
Ce fut, le lendemain, un véritable climat insurrectionnel qui s’abattit sur la ville. Qui aurait trafiqué le système de programmation de la cloche ? Les rumeurs se rependirent dans tous les quartiers de Marseille, de Mazargues à la Belle de Mai et jusqu’aux quartiers Nord. On dit même qu’à Aix et à Cassis on en avait parlé le jour de Noël dans les chaumières. Dés le lendemain, la Provence titrait : « Un mystère gâche le Noël de la population marseillaise » et l’article se poursuivait en expliquant le vol du douzième coup de minuit.
Ce fut un Noël bien curieux que ce Noël de l’année 2009 où la population marseillaise, loin de fraterniser dans l’esprit chrétien, se divisa en groupe hostiles où chacun suspectait l’autre.
Bien sur, on pensa tout d’abord aux islamistes et à leurs terroristes qui auraient pu envoyer un signal d’avertissement au brave peuple marseillais. Les catholiques suspectèrent les anarchistes et les communistes d’avoir voulu supprimer la douceur religieuse de Noël. Les socialistes et les communistes suspectèrent l’ultra droite et les prêtres traditionnalistes d’avoir saboté la minuterie de la cloche pour obliger le clergé à revenir aux anciennes habitudes.
Ce fut le début d’une mobilisation des pouvoirs publics qui, jusque là, n’avaient pas réagi. Ce n’était plus une affaire religieuse mais un problème public.
La préfecture fit pression sur la police pour que l’on envoie, son meilleur commissaire pour enquêter sur cette affaire. Le commissaire Berlain fut commis d’office dans l’heure qui suivit le coup de fil du directeur du cabinet du préfet. La presse et la télévision étaient aux abois et il ne fallait pas que les marseillais soient troublés.
Le commissaire Berlain entreprit avec sérieux et méthode son enquête. Il commença par interroger les responsables politiques des différents partis. Mais rien de concluant ne fut découvert qui aurait pu expliquer le sabotage de la minuterie. Il passa ensuite aux religieux. Ni les musulmans, ni les prêtres n’avaient à voir avec cette affaire. Le commissaire fit alors appel à des techniciens pour vérifier la programmation de la minuterie : aucun problème technique ne s’opposait à son fonctionnement. Le commissaire, calme et lucide, décida de reprendre l’affaire depuis le début car l’enquête stagnait. Puis en examinant le travail qui avait précédé sa propre enquête, il lui apparut que le sacristain avait été trop rapidement innocenté. Sa réputation était sans tache, certes, mais on avait noté ces derniers temps de légères modifications dans ses habitudes : il paraissait parfois dans la lune, oubliait de venir aux repas… Le commissaire l’auditionna plus de trois heures, sans relâche, lui fit répéter cent fois les moindres détails de son emploi du temps. C’était un combat éprouvant et sans pitié. Après l’avoir menacé d’être inculpé pour «  trouble à l’ordre public », le sacristain s’écroula et finit par avouer son oubli. Il raconta : toute la journée il avait pensé sans cesse à sa rencontre avec Mathilde qu’il devait rejoindre à minuit après son service religieux. Mais elle l’avait informé en fin d’après-midi qu’elle ne pourrait le voir, qu’il devait le rejoindre à onze heures au plus tard car elle devait prendre le dernier train pour Avignon à la gare St Charles à vingt trois heures cinquante six ! La mort dans l’âme et bien qu’il ait commencé à douter sérieusement de sa vocation religieuse, notre jeune sacristain avait renoncé à la rencontre. Ah si la messe de Minuit avait lieu à onze heures ! Ce que l’on avait cru un crime politique n’était donc qu’un acte manqué d’amoureux.

 

 

 


2ème prix : " ROMANCE DES ONZE COUPS " par la classe de 4ème 3 du Collège Font d’Aurumy de Fuveau

Je vais vous raconter mon histoire. Je m’appelle Ganaëlle, j’ai vingt ans. J’habite dans un petit village à la pointe de la Bretagne nommé Keroustat. J’ai de longs cheveux d’un brun éclatant avec des ondulations régulières. Mes yeux sont d’un bleu océan. J’ai le teint hâlé et une silhouette élancée.
Tout a commencé alors que j’étais une enfant insouciante, très amoureuse de Yann, le plus beau jeune homme du village. Je suis mariée avec lui depuis quatre ans, qui sont quatre années de bonheur intense. Yann mesure un mètre quatre-vingts, a de splendides yeux vert clair, des cheveux châtains avec un irrésistible effet décoiffé. Il a toujours rêvé depuis son plus jeune âge, de devenir marin et de partir sur l’océan explorer des rivages qui lui sont inconnus, mais son amour pour moi l’a toujours retenu.

La veille encore je l’observais. Il était assis sur une chaise devant la fenêtre, admirant la mer, guettant les bateaux qui approchaient ou s’éloignaient du port de notre village. Ses yeux étaient rivés sur cette immensité bleue qui s’étendait à perte de vue, et un étrange sourire mélancolique se dessinait à la commissure de ses lèvres charnues.
Son rêve, je le connaissais déjà, c’était de partir naviguer avec les mouettes, les goélands, les dauphins. Mais je tenais trop à lui pour le voir s’éloigner de moi. De plus, je ne pouvais pas le suivre : j’ai le mal de mer !
Tout à coup il se retourna, m’observa étrangement d’un air grave. Qu’allait-il m’annoncer ? Pourquoi me regardait-il ainsi ? Il me dit :
« Ganaëlle, mon amour pour toi est infini mais j’ai envie de vivre mon rêve de marin, laisse-moi partir et découvrir toutes ces contrées que je désire tant connaître. Je ne quitterai Keroustat que le 24 décembre au douzième coup de minuit ! »
J’aurais voulu dire quelque chose, lui répondre de façon convaincante, afin de le dissuader, mais aucun son ne sortit de ma bouche.
Je ne succombai pas à l’émotion, mais je suffoquai puis je fondis en larmes. Après cette annonce terrible, je m’enfermai dans ma chambre, de longues heures à me morfondre, pendant lesquelles mon monstre de mari me laissa seule. Puis je sortis, et le regard hagard, je me mis à déambuler sur la plage, à invectiver ma rivale la mer, lorsque j’aperçus la lune au-dessus du clocher tel un point sur un i.
Mon cœur battait la chamade à l’idée que l’amour de ma vie partirait bientôt, quand soudain il me vint une idée. Et si le douzième coup de minuit ne sonnait jamais le vingt-quatre décembre prochain ?

Après une nuit agitée, tôt le matin, je décidai d’aller voir le bedeau de Keroustat, que je devais convaincre à la réalisation de ma requête.
Je franchis le seuil de l’église, gravis toutes les marches jusqu’au sommet du clocher. Je le vis assis près de la cloche. Il fut d’abord surpris de ma présence, puis me regarda avec compassion, sans doute à cause de toute la tristesse qui dévastait les traits de mon visage. Je lui demandai :
« J’ai vraiment besoin de votre aide, bedeau. Puis-je vous parler ?
Que vous arrive-t-il ma chère ? interrogea-t-il.
Yann a juré de partir le vingt-quatre décembre prochain au douzième coup de minuit. Il veut réaliser son rêve de marin, mais mon amour pour lui ne peut supporter ce départ. Si la cloche ne sonnait que onze coups le 24 décembre à minuit, mon bien-aimé resterait à mes côtés à jamais. Acceptez-vous de faire cela ? »
Le bedeau se mit d’abord à rire et crut en une querelle d’amoureux. J’en fus consternée mais je renchéris. Je me mis à le supplier. Il fut ému, je crois, par mes larmes et ma détermination.
Je ne vois pas pourquoi je devrais vous aider, ajouta-t-il en maugréant.
Faites-le pour l’amour que j’éprouve pour Yann, je vous en prie, ce serait mon plus beau cadeau de Noël ! »
Puis le bedeau, sans doute aussi lorsqu’il se rappela qu’il était toujours redevable d’un grand service que lui avait rendu ma famille il ya deux ans, réfléchit, hésita encore, puis déclara :
« Comptez sur moi. Il n’y aura que onze coups de cloche ce vingt-quatre décembre à minuit. »
Je sortis de l’église heureuse d’avoir obtenu l’accord du bedeau qui était prêt à me suivre dans mon projet. J’éprouvai aussi un étrange malaise, car j’avais conscience que par égoïsme, je voulais changer le destin de Yann. Je rentrai chez moi, le cœur gros, mais avec la satisfaction de ne jamais voir mon amoureux s’en aller.
Les semaines passèrent. Avec Yann, nous évitions de parler du sujet crucial, en fait nous nous évitions. Nous vivions déjà comme deux étrangers et ne parlions que de futilités, de crainte de trop souffrir, de tout gâcher. Noël arriva.
Le soir même, comme de coutume, nous nous rendîmes à la messe et dans mon for intérieur, les remords réapparurent. Quels sentiments éprouverait Yann s’il découvrait ma requête auprès du bedeau ? M’en voudrait-il de l’empêcher de réaliser son rêve ? Me pardonnerait-il ma faute ? Avais-je le droit d’agir ainsi ?

Durant la bénédiction du prêtre, je sursautai quand la main de Yann se posa sur mon épaule. Il était là près de moi. Je n’avais rien écouté de la messe, perdue dans mes pensées.
Je savourai cet instant encore innocent. Dehors il neigeait et j’espérais qu’une vague s’écraserait sur la côte et détacherait les amarres du bateau que Yann devait prendre…
Il était presque minuit quand les coups commencèrent à sonner. Mon cœur palpita. Au onzième coup, ma gorge se serra, j’eus du mal à respirer.
Puis tout à coup le douzième coup retentit !
« Le bedeau m’avait-il oublié ? M’avait-il trahie ? », m’affolai-je.
Je me mis à frissonner ; Des spasmes nerveux parcoururent tout mon corps, et je crois que je perdis connaissance. Je m’effondrai. Yann me soutint, me serra très fort dans ses bras. Il me porta ensuite délicatement jusqu’à la maison, me déposa sur le lit et après un long baiser mêlé de larmes, me dit qu’il m’aimait, mais il partit sans se retourner.

Je ne sais combien de temps, je restais ainsi immobile, dans cet état de léthargie, lorsque soudain quelqu’un toqua à la porte : c’était le bedeau avec sa face de blaireau qui me dévisageait d’un air navré.
« Ganaëlle, je suis désolé, mais en glissant sur une peau de banane, je me suis retenu à la corde du clocher et les douze coups de minuit ont été sonnés cette fois-ci, par accident ! »
Quel idiot ! , pensai-je. Après ma colère contre le bedeau, revint ma tristesse à l’idée que je ne reverrais peut-être plus jamais Yann.
Et pourtant le hasard lui avait fortuitement rendu sa liberté.
Mon bien-aimé mettait les voiles avec joie !
Je serais donc dans le désarroi.
Nous retrouverions-nous un jour ?
La mer, ma rivale, me rendrait-elle cet amour ?
Que penserait-elle de notre romance des onze coups de minuit ?
Je me mis à sangloter, puis à pleurer abondamment comme une forcenée, libérant toutes les larmes de ma colère et de ma détresse, trop longtemps réprimées.

Enfin, à bout de forces, une accalmie se fit dans mes pensées tumultueuses et tel un rayon de soleil après un violent orage, je me mis à rêver que mon Ulysse me reviendrait un jour, que je ne devais plus en douter ! Espérer et attendre. A son retour, il aura tant de choses à me raconter !...Ivres du bonheur de nos retrouvailles, notre amour s’en trouvera peut-être renforcé, régénéré, qui sait ?
Me résoudre à la patience ! Être sa Pénélope ! C’est un peu démodé…
Mais notre romance pourra en amuser certains, et d’autres les faire rêver ou chanter :
« Le dernier coup de minuit n’aurait jamais dû sonner
De Keroustat, Yann s’en est allé
Laissant sa Belle éplorée
Car de grand large il avait rêvé… »
-Répétez ce refrain, dit le maître ulcéré, à ses élèves turbulents et distraits. Mais déjà ils ne l’écoutaient plus et ils riaient.