" FEES ET MAGICIENS D'HIER ET DE DEMAIN "
Catégorie "Adultes" 3ème Prix

Le Chant des Banshies de Raphaël ROBICHON




Tenir, ne pas lâcher cette fichue poignée !

J'étais certain de l'avoir entendu, ce cygne au loin… Et j'ai bien vu ce corbeau à l'entrée de la ville, à la lumière des phares. Un corbeau, un vrai, pas une foutue corneille, son bec était gris à la base et ses yeux plus noirs que la nuit. Je les ai alors " bassinés " sur la symbolique des animaux psychopompes, et sur le chant du cygne, j'ai fini par glisser sur la mort de Socrate, et ils m'ont demandé de me taire. Je pense qu'ils n'aiment pas entendre parler de la mort avant une opération.

Ma mère me racontait des légendes de notre peuple, tard le soir, légendes d'origines celtiques où histoires de fées et de saints s'entremêlent délicieusement jusqu'à représenter l'âme de l'Irlande. Mes contes favoris avaient trait aux fées, bonnes ou mauvaises, messagères de l'autre monde, prophétesses funèbres ou bénéfiques… Dans les contes de ma mère, elles se transformaient presque toujours en cygne, et je ne puis voir un cygne sans y penser…

Toujours est-il que moi, quand j'entends le chant du cygne, j'entends le chant des Banshies, et je me dis que ceux-ci ne me sont pas destinés, mais qu'ils sont envoyés pour maudire les Anglais qui souillent notre terre de leur présence…

La morphine fait merveilleusement effet, c'est bien…

Notre contact était une femme de confiance, cousine éloignée avec qui j'allais nager étant gamin lors des grandes réunions, près des ruines du château familial, elle a les doigts de pieds soudés, ce qui est disqualifiant dans les compétitions de natation… Dommage… De par cette rare particularité physique, et le fait qu'elle soit la plus âgée de la bande, et donc, forcément, la première à prendre des formes, on l'avait surnommée le Masgugue, femme poisson à la forte poitrine annonciatrice de tempête… Résultat, elle ne manquait pas de nous faire boire la tasse… Ce qui faisait qu'on finissait par la traiter d'Echouise. Si je n'avais pas le bide en si mauvais état, j'en rigolerais encore…

N'empêche, j'aurais bien aimé aller voir dans le champ du cygne, histoire de savoir s'il était vraiment mourant ou s'il était pris d'une brusque envie de chanter plus fort que d'habitude… On avait quelques cygnes, parfois, qui venaient baigner leurs pattes dans l'étang familial…

Remarque ! C'est pas si mal que ça, j'en avais assez de jouer au chat et à la souris, je me demande encore comment font mes aînés pour tenir aussi longtemps, voire toute leur vie… Mais il est vrai qu'il est très tentant de vouloir attaquer un chat aussi gros, aussi ridiculement gras, au regard si suffisant d'avoir massacré, des centenaires durant, des souris broutant tranquillement le trèfle en cherchant la prospérité et la chance…

Le chant du cygne est plus beau et plus puissant le jour de sa mort, dit-on depuis l'antiquité… Socrate affirmait que c'était par prescience, car il savait qu'il allait pouvoir accéder à un monde meilleur… le paradis ? Pas étonnant que le chant des Banshies soit si effrayant, si mélodieux, lui qui exprime toujours la tristesse et la mélancolie. Ou exprime encore une souffrance indicible et ineffable, transcendantale, celle qui met l'âme en face de sa propre finitude, de son propre emprisonnement : l'âme enfermée dans l'esprit, l'esprit enfermé dans le corps, le corps enfermé dans une condition, une condition enfermée dans une société, une société enfermée dans un état, un état enfermé par les décisions égoïstes des gouvernants…

Sont-ils nos Léprechauns ? Ils nous auraient donc transformés en cosses de haricots, et ils seraient en train de veiller à ce que nous ne puissions jamais germer ? Ou sommes-nous les leurs, et c'est à eux de nous surprendre pour pouvoir nous capturer et nous tirer les vers du nez pour avoir le gros lot ? Pour ces foutus porcs, les informations valent mieux que l'or… En fait, ce ne sont que des enfoirés de Koorigans, mauvais génies, arnaqueurs, trompeurs, colons impérialistes crasseux et mal dégrossis, venus voler notre terre et notre identité à force de mensonges et de chantages…

Le sang qui dégouline de mon ventre est noirâtre, et il pue, mauvais ça…

Sûr j'ai bien fait de larguer le grand frère en route, étourdi qu'il était par l'accident, il s'est laissé faire, et puis, ça m'aurait fait mal de l'embarquer sur l'autre rive alors que toute cette histoire c'était mon idée…

Il n'est pas question que ma cargaison tombe dans leurs mains, ils pourraient bien l'employer pour faire un de ces attentats factices visant des civils pour nous discréditer… Car quoiqu'ils puissent en dire, l'I.R.A est l'armée de libération de notre peuple depuis neuf siècles, et j'en suis un porte-étendard blessé à mort par la félonie des colons, à moi de mourir dignement en faisant honneur à notre cause. Mourir un putain de dimanche matin !

Si la réincarnation existe, je souhaite devenir un bonnet rouge, un de ces lutins sanguinaires qui mangent tout et n'importe quoi, la tête juste à la bonne hauteur pour leur bouffer les… ne pas rigoler…

Je change de main ou pas ? Ca fait vachement mal de rester crispé là-dessus…

Heureusement que les cousins ne nous ont pas arnaqués sur le matériel. Au moins, il y a de quoi faire sauter un pâté de maison. Et maintenant que je suis tout seul avec, je ne vais pas laisser ces porcs faire une si belle prise…

Ha, si seulement je ne m'étais pas trompé sur le camp du signe…

La vue est belle depuis les quais… Dommage que le pare-brise soit dans un si mauvais état… Tiens, ça y est, la cavalerie finit par arriver, comme quoi, il ne faut jamais désespérer… Et ils ont foutu leurs sirènes, moi ça me fout les nerfs, je vais mettre la radio à fond, ça leur fera les pieds !

Comiques, ils n'osent pas s'avancer… Tiens, un fourgon noir, les renforts, ils ont peur de ce qui pourrait leur arriver s'ils venaient me voir ?

Hey… Le soleil se lève… Ca va être une journée ensoleillée, ça, pas de doutes… Tiens ? Ils passent Bloody Sunday ? Et moi qui m'étais dit que ça pourrait être sympa de mourir sur une musique comme celle-ci ! Y a pas à dire c'est leur meilleure… " I can't believe the news today, I can't close my eyes and make it go away ! How long… "

Debby, on ne refera plus la tournée des bars ensemble…
Une balle de calibre 12.7mm traversa l'habitacle de la voiture et le crâne de Daniel Johnston, interrompant définitivement ses pensées avant de terminer sa course dans les eaux troubles du port. La détonation fit s'envoler un cygne… Cinq hommes en tenues de combat noires se mirent alors à courir à demi accroupis en direction de la voiture avant de se plaquer dos contre elle, un d'entre eux avança la main jusqu'à la poignée, et ouvrit la portière. Le cadavre de Daniel s'écroula alors, lâchant la poignée qu'il tenait depuis plus de vingt minutes, et les quatre pains de C4 explosèrent.

- Fées, walkyries, anges, Avalon, Valhalah, Paradis, Ragnarok, Jugement dernier, Jérusalem céleste… Des noms bien différents pour des réalités fort semblables… Qu'en penses-tu ? demande un vieil homme barbu au regard vif et lumineux.
- Un cœur pur, une grande bravoure, mais un cœur d'enfant, de rêve, bercé d'illusions… lui répond une femme entre deux âges d'une très grande beauté, et d'une grâce infinie, l'air détaché…
- Il est mort l'arme à la main, le chant dans la bouche, et la foi au cœur - récite le vieillard de ses lèvres fines, sèches et aiguës.
- Il est mort sur un regret, sur une infinie tristesse, et dans une sombre résignation - constate la dame, les lèvres pincées.
- C'est un homme d'honneur, de principes, et d'idées.
- C'est un enfant qui, à peine le sein de sa mère quitté, a été armé pour une guerre injuste… murmure-t-elle, comme dans un soupir…
- Sauf qu'il avait la force et le courage d'un homme, et qu'il était du bon côté de la justice… Entre-nous, il revêtira une armure de lumière, il prendra des armes d'amour et de foi, et il se battra pour une cause qu'il saura être juste avec la félicité divine chantant en son cœur, n'est-ce pas ce dont il a toujours rêvé ?
- Je cède, encore… Je ne sais même plus pourquoi j'essaye de discuter de ça avec toi, Merlin… Elle jette alors comme une poussière invisible sur les flots, d'un geste du bras agacé en fronçant les sourcils
- Parce que tu es comme cela, Morgane, tu n'abandonneras jamais, c'est bien pour ton caractère que je t'ai choisie !
- Mais combien de héros te faudra-t-il encore ? Combien de pantins désarticulés devrai-je trouver, guidée par le chant des Banshies, et remonter pour que toi, ou je ne sais quelle monstruosité à visage humain vienne les réanimer au nom d'une destinée plus aveugle qu'eux ? hurle-t-elle en postillonnant au visage du mage.
- Tous, ma fée, tous… Il ferme les yeux un instant pour dire cela.
- Sache que je n'oublie pas que tu es fils de démon…
- Je sais cela , annonce-t-il d'un air absent, scrutant la brume se déroulant lentement devant la proue en forme de cygne de la nef.
- Recruterais-tu aussi - sait-on jamais ? - ceux que nos héros affronteront lors de cette " fin des temps " ?
- Pourquoi poser des questions auxquelles on ne peut avoir de réponses ?
- Je ne sais pas, ça participe au mystère et au malheur de la condition humaine…
- Au lieu de philosopher, fais ton office. Si tu me cherches, je suis à la proue.
- Bien. Elle s'approche alors de la poupe et déclare à un majestueux cygne venant à peine de se poser " Banshie, je te libère de ta forme animale, et te convie à rejoindre tes sœurs en Avalon, lieu où attendent les héros, et où se reposent les fées ".
- Maîtresse, vous me paraissez bien triste… qu'avez-vous ? " lui demande la jeune femme secouant doucement la tête pour laisser tomber les dernières plumes…
- J'ai que pour faire des héros, il faut des martyrs…
" The real battle just begun…