Concours de nouvelles 2016

2e prix ex aequo "Juniors"

Cette Vérité de Elise Vassallucci

Au commencement il n’y avait rien, puis Elisabeth ouvrit les yeux sur un Paris calme et paisible où elle était seule. La jeune femme déambulait dans le labyrinthe du silence, les rues de la ville semblaient vides de temps, de sens et d’existence.

Il devait être une heure avancée car la nuit régnait sur le dédale. Elisabeth aimait bien ce quartier du Marais, elle y allait souvent avec sa mère lorsqu’elle était enfant. C’était également un endroit où elle avait l’habitude d’aller discuter autour d’un café avec son plus grand ami, Samuel. Ils parlaient la plupart du temps de livres, de sexe et de politique, toujours dans cet ordre.

La jeune femme était âgée de 19 ans. Promise à un grand avenir dans la musique, elle avait quitté sa famille à l’âge de 17 ans pour devenir pianiste professionnelle. Deux ans après, elle s’était fracturé plusieurs doigts lors d’une terrible chute et ne s’en était jamais remise. Elle avait jeté la faute sur sa mère et s’était isolée durant plusieurs mois. En pleine crise existentielle Elisabeth s’était fait tatouer et colorer les cheveux en rouge pour briser l’image que les gens avaient d’elle autrefois. L’image d’une petite fille fragile et simple. Elle avait ensuite commencé des études d’arts plastiques à la Sorbonne pour effectuer une transition entre son ancien être et son nouveau. Pour compléter cela, la jeune femme prenait des cours de philosophie en plus le mercredi après-midi. Elle avait les yeux clairs et colorait sa bouche en bleu afin de se créer une apparence plus atypique toujours dans cette volonté de rupture qu’elle avait fini par affectionner. Néanmoins, la jeune femme était de nature joviale. Son sourire faisait le bonheur de chacun de ses amis et son humilité, l’affection de son entourage. Elle était belle mais cela, elle ne le savait pas.

Ce soir là, après leurs cours respectifs, ils s’étaient retrouvés avec Samuel à la terrasse de leur café habituel. Malheureusement, ce dernier devant accompagner son fiancé à la gare ne put rester très longtemps. Elisabeth s’assit et commença à croquer les gens qui défilaient devant elle. Elle ferma les yeux un instant pour sentir la brise nocturne caresser ses paupières et ne les rouvrit pas avant un moment. Lorsqu’elle finit par le faire ; il n’y avait plus rien ni personne.

Elle sortit une cigarette de son sac et l’alluma avant de se lever, ébahie par le vide qui se défilait devant ses yeux voilés par l’absence. Elisabeth quitta le café et déambula dans une ville morne et éreintée. Où étaient passés tous ces gens qui défilaient dans la rue juste quelques instants auparavant ? Désemparée, elle décida de rentrer chez elle. Elle prit la rue Montgrand et longea le boulevard Rivoli. Tout était vide de vie et son c?ur battait de plus en plus vite. La jeune femme s’arrêta devant un magasin de confiseries bretonnes pour reprendre son souffle et un peu de contenance.

Elle y voyait de moins en moins clair car s’installait doucement une brume épaisse qui embaumait la ville d’un parfum de souffre âcre. Elle continua de marcher jusqu’à-ce que le brouillard lui retire presque totalement la vue, la désorientant suffisamment pour l’immobiliser. Elisabeth décida donc d’attendre dans le froid au milieu de nulle part, au milieu de rien. Les secondes étaient des minutes et les minutes devinrent des heures. Pourquoi était-elle complètement seule ? La jeune fille sentit que sa vue l’abandonnait. Elle cherchait les réponses, aveuglée par l’illusion dans cet océan de mystères. Au bout d’un certain temps, Elisabeth entendit des bruits de pas suivis d’une voix féminine hurlante :

- Y-a-t-il quelqu’un ici ?

La jeune femme répondit, pensant l’origine lointaine, en criant du mieux qu’elle put malgré la lassitude qui l’assaillait :

- Elisabeth Pankurst ! Je suis là ! A l’aide !

Les bruits de pas s’arrêtèrent et la voix se fit de nouveau entendre.

- Bonjour mon amour.

- Maman ? S’étonna la jeune fille, je ne te vois pas.

- C’est normal mon ange, tes yeux sont clos, ouvre les et tu me verras.

- Non mère je t’assure que mes yeux sont ouverts ! Mais je ne vois rien.

- C’est parce que la brume brouille tous tes sens. Lorsque tes yeux auront éclos, la vérité t’apparaîtra aussi claire que le rien que tu contemples maintenant.

- Mais de quelle vérité tu parles ? Je ne comprends pas.

- Mais la tienne voyons. Que se passe-t-il ma fille ? tu sembles tellement perdue. Dépêche toi il ne nous reste plus beaucoup de temps !

- J’ai peur maman ! Pourquoi tu dis ça ? Il y a un temps limite ? Je me sens mal, mes yeux me brûlent, mes oreilles sifflent, elles disent que c’est la fin. Comment suis-je arrivée là ? Je me sens vide de tout. Plus j’avance dans ce brouillard, plus je me sens … Morte.

- Mais enfin Eli, qu’est ce que tu me dis là ? Viens dans mes bras …

Elisabeth se blottit contre le sein de sa mère et y resta un instant. Elle ne voulait pas qu’elle reparte, elle se sentait protégée. Sa mère lui souffla un baiser avec toute la tendresse maternelle dont elle était capable, comme une lueur dans son regard ; puis, elle disparut, emportant avec elle dans la brume tous les espoirs nouvellement créés de la jeune femme en perdition.

Se retrouvant de nouveau seule avec elle-même, elle se mit à parler :

- Mais où suis-je ? Réveillez-moi ! Je vous en prie ! Y-a-t-il quelqu’un pour être le témoin de ma souffrance ? 

Aliénée, elle se sentait traînée dans la boue comme un oiseau sans ailes. Dans ce tourbillon de regrets, où les larmes restaient figées comme de la glace sculptée, dans la brume, la jeune femme demeurait.

Elle tenta d’avancer en désespoir de cause mais se figea au son de nouvelles voix :

- Elisabeth ?

- Ryan ? Murphy ? 

Ses deux frères qui se transformaient peu à peu en ombres informes étaient là, juste devant ses yeux fermés au monde.

- Que fais tu là petite sœur ? Nous t’avons cherchée partout !

- Comment ça partout ? J’étais là, j’étais coincée, on s’est joué de moi je crois, je n’y vois plus rien.

- Peut-être ne voyais- tu que le mensonge ? Avança Murphy.

- Chut ! souffla Ryan à son frère, elle ne sait pas.

Elisabeth prit sa tête entre ses mains et la serra très fort.

- Non je ne sais pas ! Il semblerait que je sois condamnée aux profondeurs, à l’amertume, à la douleur. Condamnée au silence.

- Enfin reprends- toi petite soeur, l’essentiel est que tu acceptes cette vérité. Nous nous reverrons bientôt.

- Non ! cria t-elle , ne partez pas ! Dites à maman que je l’attends là… dites lui… 

Elisabeth pleura longuement, en entendant le rire de ses frères au loin qui la blâmait. Qui avait-il de si important à comprendre ?

Elle marcha aveuglément dans les rues de Paris, embaumées par la brume épaisse comme un souffle de lait. Sa vue revint peu à peu ; la jeune femme vit ainsi mieux où elle se situait. Elle était assise là, au café avec son carnet de croquis. Point de départ. Tout cela n’avait été qu’un rêve ? Quand sa vue revint à la perfection, Elisabeth vit que la terrasse du café avait été détruite. Il y avait là un dédale de poussière et de sang qui se mélangeait à l’odeur du café crème.

Le jour se leva comme du papier froissé, et la jeune femme pensait avoir ouvert les yeux sur ce qu’ils appelaient « la vérité ». Des silhouettes apparurent et déambulèrent dans la rue. Les visages de ces gens là étaient creux et maussades. En effet, tout semblait laid, livide, putride, vide et glacial. Elisabeth se sentit seule. Elle décida donc, effrayée par l’attitude de ces derniers, de rentrer chez elle afin de retrouver sa famille et de conter ses mésaventures. La jeune femme croisa sur le chemin un homme qu’elle connaissait, elle l’interpella :

- Arthur ! Eh Arthur ! excuse moi, saurais-tu ce qu’il s’est passé hier ...

L’homme ne s’arrêta pas et continua de marcher comme si de rien était. Tous et toutes s’en allaient au même endroit : chacun marchait dans la même direction, l’air vide et désemparé. Elisabeth, prise de court, décida de suivre le mouvement, puis la foule jusque dans le Marais. Les gens se bousculaient en hurlant. Certains pleuraient. La jeune femme se fraya un chemin dans la foule et vit devant elle la terrasse du café détruite à nouveau. Elle ne comprenait pas. Les gens étaient venus poser des bougies, des mots, des affiches. Il y a quelques instants elle s’y retrouvait seule … En quelques secondes, parmi les gens qui pleuraient, elle discerna quelques photos, suivies de pancartes « Même pas peur » sans doute écrites avec des mains d’enfants. Elisabeth s’approcha de la vitrine où étaient affichées les photos des victimes et questionna une dame en larmes :

- Madame, pourquoi tant de larmes, enfin reprenez-vous ! Que s’est t-il passé?

La femme continua de pleurer, tout en ignorant Elisabeth qui se trouva vexée. Cette dernière entendit un cri au loin, c’était la voix de sa mère, mais la jeune femme n’était pas sûre. Elle se concentra sur les photos tout en faisant abstraction de la femme qui sanglotait à ses côtés : il y avait la photo d’un jeune homme d’une vingtaine d’années, de deux femmes âgées de cinquante ans. Elisabeth se pencha pour y voir plus clair et s’arrêta sur la photo d’une jeune femme d’une vingtaine d’années, aux cheveux rouges et aux lèvres mauves. Au- dessous, était écrit :

Elisabeth Pankurst, 19 ans, 13 novembre 2015.

La jeune femme vit au loin son reflet dans le miroir de la réalité.